Chute de la Silicon Valley Bank (SVB) : le terrible Bank Run

Silicon Valley Bank Run

Tout le monde entend parler de la nouvelle panique des marchés financiers, une possible nouvelle crise financière qui rappelle les subprimes. Un risque systémique sur le secteur financier qui fait trembler le monde. Mais comment est-ce arrivé ? Comment peut-on faire faillite en 2 jours ? Le bank run, principal risque des banques ?

Le bank run : la peur est salutaire, la panique, elle, est mortelle

Un bank run est un retrait d’argent massif d’une banque de la part de ses déposants. Les déposants ne font plus confiance à la banque, sur le fait qu’elle soit capable d’assurer leur retrait, ils retirent donc leur argent. C’est un effet catastrophe auto réalisateur la plupart du temps. Vous comprendrez en lisant les explications avec ce nouveau cas d’école.

Qu’est-ce que la SVB ou le dernier exemple de bank run ?

La Silicon Valley Bank est une banque aux Etats-Unis spécialisée dans le financement des sociétés de la tech américaine. Elle gérait notamment leur argent, obtenu par les différentes levées de fonds. Elle prêtait de l’argent aux mêmes fonds de capital-risque et aux dirigeants des starts up. Un schéma explique surement mieux ce système de vase clos.

écosystème SVB

Rien de nouveau pour l’instant dans le fonctionnement d’une banque et son rôle de financement de l’économie. L’argent circule tout va bien, comme un corps avec une bonne circulation sanguine. Il ne faut pas penser, en voyant ce schéma que 100% des fonds des sociétés de capital-risque provenaient de SVB, c’est chaque fois une part du flux d’argent.

Crise COVID : explosion de la tech

La pandémie a été favorable aux sociétés de la tech, qui ont levé énormément d’argent. La croissance du secteur a été importante, ils ont embauché beaucoup de gens pour se développer. Comme les starts up lèvent beaucoup d’argent, les dépôts chez SVB explosent aussi. On passe de 102 à 189 milliards de dollars américain.

En 2022, la fête est finie pour le secteur technologique. Les sociétés ont beaucoup de mal à lever des fonds. Pourquoi ? Avec la hausse brutale de l’inflation, la FED, la banque centrale américaine (la banque des banques) augmente rapidement ses taux (pour faire simple, le prix de l’argent pour les banques). Les taux passent de 0% (« argent gratuit ») à 4,50%-4,75% aujourd’hui. Les dépenses de gestion courantes des starts up étaient financés à la base par les levées de fonds. Les sociétés ont commencé à puiser dans leurs comptes en banque pour payer les salaires, loyers etc. Donc les dépôts diminuent chez SVB. Effet « porte de saloon » en une année.

Fonctionnement du bilan d’une banque : comprendre les conséquences d’un bank run

Pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut comprendre comment fonctionne une banque. Regardons un bilan simplifié classique d’une banque.

un bilan de banque simplifié

Le passif d’une banque, ses ressources, sont les fonds propres, les obligations qu’elle émet sur les marchés, les dépôts de ses clients et les emprunts interbancaires qu’elle réalise (pour se financer à court terme). Les opérations sur titre sont une technique pour obtenir de la ressource mais ce n’est pas le sujet ici. De cet argent, elle finance (donc la partie ACTIFS) les autres banques en besoin de liquidité court terme, les crédits clients, et ses immobilisations (ses locaux, matériels…).

On voit « portefeuille de titre » dans les ACTIFS également. Dans cette ligne, il y a tous les investissements qu’elle réalise avec ses excédents de liquidité pour fructifier ses fonds propres. Mais cette ligne fonctionne aussi comme réserve de valeur de liquidité. Les titres (principalement les obligations) lorsqu’une banque les achète, doivent être catégorisés en HTM (Hold To Maturity) ou en AFS (Available For Sale). Soit la banque les garde jusqu’à la fin, soit elle peut les vendre à tout moment.

HTM ou AFS, telle est la question

La différence pour la banque, réside dans la prise en compte du titre au niveau du bilan. En HTM, dans le bilan, les titres sont amortis, donc plus stables, mais les banques n’ont pas le droit de les vendre. Si elles vendent un titre HTM, la règle veut que tout le portefeuille HTM devienne AFS. En AFS, la comptabilité est en valeur de marché. C’est à dire que la valeur change chaque jour. Comme on a vu ici, le prix d’une obligation varie en sens inverse des taux d’intérêts. Les taux augmentent, les prix des obligations diminuent. La FED a augmenté fortement ses taux, donc la valeurs des obligations AFS a grandement diminué et rapidement.

Donc, avec ces informations, reprenons notre bilan. Les dépôts clients augmentent une année. SVB avec cette liquidité achètent des titres, peut-être un peu trop. Une année passe, les clients utilisent la liquidité de leur compte pour assurer le fonctionnement de leur société. Ils ne peuvent plus lever des fonds aussi facilement en raison de la montée des taux. Donc le passif de SVB diminue. Pour équilibrer et assurer la sortie de liquidité de leur client, ils doivent vendre des titres AFS. Oui mais ces titres achetés, imaginons 100, en raison de l’augmentation des taux, ils ne peuvent les revendre que 80. Ils perdent 1,8 milliards de dollars américain par cette baisse de valorisation de leur titre. Cet écart de valeur ne leur permet pas d’équilibrer la sortie de liquidité de leur client.

C’est l’heure du bank run, « La rumeur est la fumée du bruit » Victor Hugo

La banque a annoncé qu’elle cherchait à lever 2,5 milliards de dollars américain pour compenser la perte. La rumeur a circulé que la banque était au bord de la faillite. Je citerai Jacques Attali pour imager ce qu’il s’est passé :

Dans un monde où l’information est une arme et où elle constitue même le code de la vie, la rumeur agit comme un virus, le pire de tous car il détruit les défenses immunitaires de sa victime.

Les clients, dans cette période difficile pour eux pour lever des fonds, ont paniqué et ont retiré leur liquidité. Un bank run massif, qui baisse considérablement le passif du bilan de la SVB. 42 milliards de dollars américain de retrait en une journée. Toutes les demandes ne sont pas traitées. Des sociétés se retrouvent donc avec un problème de liquidité, principal facteur de défaut.

Souvenez-vous, la banque possède un gros portefeuille de titre HTM, mais si elle en vend un tout le portefeuille passe en AFS. Si tout le portefeuille passe AFS, dans le bilan il est valorisé en prix de marché. Avec la remontée des taux, le portefeuille engendre une énorme perte encore de plusieurs dizaines de milliards de dollars américain.

Réaction des autorités et des marchés face au bank run

Les autorités ferme la banque le 10 mars pour limiter les dégâts, et donne le dossier à la FDIC. Cette dernière est l’agence américaine qui gère l’assurance des dépôts bancaires. 250 000 dollars américains par dépôt sont assurés. Trop peu pour les clients : plus de 90% des dépôts ne sont pas assurés. Au cours du week end qui suit, les autorités décident d’assurer l’intégralité des dépôts.

Durant le week end, une autre banque fait faillite, la Signature Bank. La FED annonce qu’elle prête aux banques si elles font faces à des bank run. En effet, SVB a ouvert un vent de méfiance sur le système financier, rappelant 2008. On assiste à une perte de confiance envers le système, les valeurs bancaires décrochent en bourse.

Gestion des risques pour éviter un bank run ?

Comment la banque a pu se retrouver dans cette situation ? Il n’y a pas de gestion des risques ? Comme nous l’avons déjà vu, dès qu’on gère un actif ou un passif, on est de facto des gestionnaires de risques. On doit savoir les évaluer, les contrôler, les gérer. Il existe pour cela tout un tas d’instrument, de calculs de ratios, qui permettent d’appréhender les risques. Il existe aussi des stress tests, on imagine un scénario et on l’applique au bilan (de la banque, d’un fonds, de notre portefeuille) pour voir comment il réagit.

Deux solutions possibles à première vue

Soit SVB gérait correctement, avait un ratio de liquidité avec un stress « bank run », et savait qu’ils étaient limites. Ils n’ont pas anticipé une panique des clients.

Soit SVB n’avait pas fait ce scénario « bank run », ou alors avec un choc trop bas.

Il faut spécifier que dans les scénarii de risque, les chocs utilisés sont toujours des chocs historiques (on reproduit une crise précédente) soit un choc forfaitaire. Il n’y a aucun scénario légal qui anticipe une variation de taux de 4%-5% ou un bank run de ce niveau. Car oui les établissements financiers doivent respecter un ensemble de ratio pour gérer les risques et prévenir les cas. Sauf ceux qu’on n’a pas prévu…

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

En 2022, la banque aurait passé presque une année sans directeur de la gestion des risques. Exactement pendant la remontée des taux. Aucun risque couvert non plus avec des swaps de taux. En 2021, son bilan montre 10 milliards de swap et rien en 2022. Cette proportion de swap est clairement insuffisante pour couvrir leur risque de taux, mais ils avaient le mérite d’être là.

Mais bien qu’il n’y ait pas de directeur de la gestion des risques, pendant les comités financiers, il y a forcément les autres directeurs, et des directeurs généraux. Des personnes compétentes pour prendre des décisions. Il ne faut pas non plus se leurrer, ce ne sont pas les directeurs qui passent les opérations, ils prennent juste les décisions et la responsabilité des opérations à la lumière de leur équipe. Aucun opérationnel n’a alerté de la situation ? Aucun dirigeant n’a pris la responsabilité ou avait la compétence pour savoir qu’il fallait couvrir ? Des questions subsistent toujours…

Comme le fait de placer une grande quantité des dépôts dans des titres obligataires et surtout sans les swaper ! Placer ces dépôts créait un risque de taux par principe et de liquidité lors d’un bank run. En effet, il faut vendre les titres dévalorisés pour assurer la liquidité des clients (des premiers arrivés en tout cas) mais devient la base d’une crise de liquidité beaucoup plus importante. Une réaction en chaine peut aussi vite arriver. On le verra certainement dans les prochaines semaines, le temps que l’effet domino démarre.

Quelles sont les solutions pour éviter ce problème ?

Aux Etats-Unis, les bilans avec des actifs inférieurs à 250 milliards de dollars américain sont sous une surveillance moins stricte. Il faudrait peut-être mettre en place des normes uniques pour tous les acteurs. En effet ces acteurs ne doivent pas respecter des ratios comme le LCR ou NSFR. Des ratios de contrôles de la liquidité. Le LCR (Liquidity Coverage Ratio) mesure l’argent disponible dans le mois en fonction des entrées et sorties prévu. Il doit être supérieur à 100%. En résumé la banque doit avoir la liquidité pour assurer les sorties d’argent. Le NSFR (Net Stable Funding Ratio), dans l’esprit est identique, mais quand le LCR est un ratio de flux sur le mois, le NSFR est sur l’année et est plutôt un ratio de stock. Voir l’article sur l’ALM pour mieux comprendre.

Une bonne gestion des risques doit pouvoir anticiper le maximum d’aléa. La mise en place de ratio de contrôle, de tests, et de stress tests fréquents permettent de mieux gérer les problèmes qui pourrait survenir. Ce sont des contraintes nécessaires pour une gestion saine car l’impact d’un problème mal géré peut avoir de grandes conséquences. Une norme unique pour tous les acteurs permet de mieux gérer le système.

Solvency 2 ou la prise en compte en Mark to market ?

Faire évoluer les normes comptables bancaires pour les rapprocher des normes de l’assurance. En effet, depuis la crise de 2008, les assurances doivent respecter la norme Solvency 2. Un des critères de cette norme est la prise en compte des titres obligataires en AFS intégralement, même si on souhaite garder l’obligation jusqu’à sa maturité. L’avantage de valoriser les titres à leur valeur de marché (on appelle ça le mark to market), peut être de renforcer la prospection dans les décisions d’investissement et à horizon plus court que la seule maturité des titres.

Dans le passé des assurances, la vente servait à générer des liquidités et/ou à l’atterrissage comptable de fin d’année (comprenez piloter le résultat). Maintenant, le risque est de limiter le problème de signature. La situation des banques aujourd’hui est la situation des assureurs hier. Le problème n’a pas été un défaut d’une obligation mais un bank run qui a conduit à revaloriser tout un portefeuille soi-disant invariable. Prendre ce chemin-là est considéré qu’il n’y a aucun risque de perte sur ce portefeuille HTM. SVB vient de prouver le contraire. Son bilan affichait une valeur erronée, par des jeux comptables loin de la réalité.

Pourquoi les banques n’ont pas été concerné ?

L’argument des banques, auprès des régulateurs, pour éviter cette prise en compte en Mark to Market, a surement été de comparer une obligation à un prêt bancaire pour particulier. En effet, une obligation est un prêt à une entreprise ou un État, contre un taux d’intérêt. Les prêts bancaires pour particulier sont pris au bilan avec le même principe, car ils sont considérés être gardé jusqu’au remboursement. Mais la différence est qu’un crédit n’est pas valorisé par un marché. Il peut l’être seulement s’il est titrisé. Et dans ce cas, il faudrait titriser tous les crédits. Il faudrait donc trouver une méthode de calculs de valorisation de ces crédits. Les banques pourraient donc acheter et vendre n’importe quels crédits. Est-ce que tout ceci aurait un sens ?

Solvency 2 ou la prise en compte par transparence

Autre point sur la gestion des risques que les banques devraient imiter de leur collègue assureur. La prise en compte par transparence des fonds qu’elles gèrent.

Les banques dans leur portefeuille de titre n’ont pas que des obligations en direct. Elles ont aussi des fonds d’investissement (OPCVM, SCPI, SICAV…). Parmi les OPCVM, elles ont des fonds actions et des fonds obligataires. Mais elles n’ont aucune obligation de contrôler la composition de ces portefeuilles donc leur risque. Ces positions sont comptées en AFS. Les assureurs doivent contrôler leur OPCVM et leur exposition. On peut émettre la similitude que la banque gère un fonds, contenant toutes ses positions AFS. Ces normes pour les assurances ont été mis en place pour protéger les clients, qu’ils aient accès à l’information nécessaire sur leur investissement dans ces sociétés privées (les assurances). Mais les banques sont aussi des sociétés privées, où on investit en déposant notre argent, sans rien recevoir, sauf le risque de faillite et de perdre son argent.

Ce genre de risque peut arriver en Europe ?

La régulation bancaire européenne est beaucoup plus stricte. Tous les établissements doivent calculer leur LCR et NSFR par exemple et le respecter. Ensuite, soyons réalistes, aucune banque ne peut survivre à un bank run de ce niveau. Donc oui ce genre de risque peut arriver en Europe. Si un beau jour tout le monde retire son argent de la banque, surtout les plus grosses entreprises de la banque, la banque va annoncer qu’elle recherche des liquidités.

Toutes les banques sont secouées par la remontée des taux. Les Banques Centrales doivent lutter contre l’inflation, et ont leur bilan rempli de titre qui se sont dévalorisés aussi. Il se peut qu’un moment arrive où elles doivent choisir entre sauver une banque ou baisser l’inflation.

Pour l’instant, la crise se situe au Etats-Unis, dans des banques régionales, souvent liées au secteur de la crypto. La remontée des taux a fragilisé ces banques et les acteurs de la crypto. Ça démontre un vrai problème, à la fois de la gestion des risques de ces acteurs et de la régulation de la part des autorités. Mais le monde regarde aussi Crédit Suisse qui connaît aussi des problèmes de liquidité, en plein cœur de l’Europe.

Évidemment nous vivons dans un système interconnecté, le temps nous dira les impacts de ces faillites sur le monde mais aussi des politiques qui seront mises en œuvre… Le rôle des autorités est de dire des phrases rassurantes pour éviter la panique, mais personne ne sait…

Au final ?

La Silicon Valley Bank a subi de plein de fouet la remontée des taux et la panique de ses clients. Panique inutile ou non, il s’avère que la banque n’avait pas eu une gestion saine de ses risques, bien que ce soit son métier. Cela relancera certainement le débat sur la place des banques dans notre société et notre écosystème, et notamment de leur régulation. Nous avons émis l’idée de tendre vers une prise en compte au bilan des banques de la vraie valeur de leur portefeuille de titre pour refléter un bilan plus réaliste. Depuis la faillite de SVB, plusieurs banques ont suivi ou sont sous pressions. A qui le tour ?

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2 réflexions sur “Chute de la Silicon Valley Bank (SVB) : le terrible Bank Run

  • 20 mars 2023 à 23h02
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    Ton article m’a beaucoup intéressé il est totalement actuel et donne des clés pour comprendre la situation des banques. Merci!

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    • 21 mars 2023 à 3h13
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      Un article très détaillé et factuel pour un sujet complexe !
      J’ai mieux compris ce qui s’est passé avec la SVB et les principaux mécanismes qui régissent nos systèmes financiers.
      Merci à toi.

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